Les orques sont cosmopolites, très fréquentes dans les eaux froides septentrionales et méridionales. Les populations disséminées à travers le monde évoluent indépendamment les unes des autres, sans inter-reproduction, ainsi elles adoptent des comportements spécifiques à leur environnement. Chaque type de population a donc un comportement qui lui est propre. Diverses formes d'orques ont été observées de part le monde, certaines mieux étudiées que d'autres, car plus abordables, sont maintenant bien connues des scientifiques.
Dénomination des individus (FORD, ELLIS, & BALCOMB, 1994) :
Mâle reproducteur :
(Ang. : " bull ") |
Mâle sexuellement mature ; peut-être identifié par sa grande taille et sa très haute dorsale dont la hauteur est au mois égale à 1,4 fois la largeur de sa base ; les mâles reproducteur atteignent la maturité physique à environ 20 ans. |
Femelle reproductrice :
(Ang. : " cow ") |
Femelle sexuellement mature, avec au moins un petit ; souvent observée avec des juvéniles à ses côtés ; peut-être confondues avec un grand mâle juvénile. |
Matriarche : | Femelle la plus âgée dans un groupe maternel, un pod, ou un sous-pod. |
Petit :
(Ang. : " calf ") |
Nouveau-né de l'année, typiquement né en automne/hiver. |
Juvénile : | Jeune mâle ou femelle immature. |
De nombreuses études, basées sur la photo-identification et le comportement, ont permis de distinguer 2 écotypes ou formes de populations et des communautés d'orques dans le Pacifique Nord-Est :
La distinction entre les types résidant et nomade, et leurs communautés, dans le Sud de l'Alaska, la Colombie Britannique, et l'Etat de Washington, est basée sur les caractéristiques physiques des individus, leur régime alimentaire, et leur comportement. Il est important de noter que les observations faites à partir des populations du Pacifique nord-est peuvent ou non être valables pour les autres populations.
Formes |
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Communautés | Communautés nord et sud | Communauté hauturière | |
Régime alimentaire | Presque exclusivement piscivores. Chassent rarement les mammifères marins. (BIGG et al., 1990) | Majoritairement ichtyophages ? | Se nourrissent essentiellement de mammifères marins, et de poisson occasionnellement. (BIGG et al., 1990) |
Taille des groupes | 5 à 50 individus. | 30 à 60 individus | 1 à 7 individus. |
Habitat | Régulièrement observés dans deux régions bien définies de surfaces équivalentes. | Haute mer, plateau continental. | Déplacements moins réguliers et moins prévisibles. |
Vocalisations | Sons variés et fréquents. (MORTON, 1990) | Bruyants (écholocation). | Souvent silencieux. (MORTON, 1990) |
De plus, les nomades vivants au large des côtes du centre de Colombie Britannique ont tendance à passer plus de temps à chasser et se déplacer qu'à jouer et plongent plus longtemps en moyenne que les résidants (MORTON, 1990).
Les différences de vocalisations sont peut-être la conséquence des stratégies de prédation spécifique à chaque type de population. Etant donné que le régime alimentaire des nomades semble principalement basé sur les mammifères marins, capables de percevoir les vocalisations et les cliquetis d'écholocation, c'est peut-être une réponse hautement adaptative que d'éviter d'émettre des sons superflus. Des chercheurs ont même observé des nomades modifiant apparemment leur rythme respiratoire (expirations très douces au lieu des expirations forcées et bruyantes habituelles) lors de chasses aux mammifères marins (JEFFERSON, STACEY, & BAIRD, 1991). D'autres observateurs ont noté que les autres cétacés cessent leurs vocalisations en présence des orques (MADSEN & HERMAN, 1980).
La troisième communauté résidante, appelée
provisoirement " hauturière ", est la communauté la plus
récemment identifiée dans le Pacifique Nord-Est. Les orques hauturières
ont été photographiées au Sud-Est de l'Alaska (MATKIN D.R.,
commun. pers.), aux alentours des Iles de la Reine Charlotte (Haida Gwaii),
à l'Ouest (15 km minimum) et au Nord de l'Ile de Vancouver (ELLIS, commun.
pers.), ainsi que dans le Détroit de Juan de Fuca (Etat de Washington)
(BALCOMB, commun. pers.). Apparemment, ces orques vivent la plupart du temps
en haute mer, au niveau du plateau continental, ne fréquentent le littoral
que rarement (FORD, ELLIS, & BALCOMB, 1994). Elles se présentent
en grands groupes de 30 à 60 individus de composition variable (FORD,
ELLIS, & BALCOMB, 1994). Bien que les habitats des hauturiers, des autres
résidants et des nomades se recouvrent, les hauturiers n'ont encore jamais
été observés en association avec les autres résidants
ou les nomades (ELLIS, commun. pers.). D'autre part, leurs vocalisations sont
différentes de celles des autres résidants et des nomades (FORD,
commun. pers.). Environ 200 individus ont été identifiés
(FORD, ELLIS, & BALCOMB, 1994), mais il est certain que beaucoup encore restent
non photographiés.
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Le sommet de la dorsale tend à être arrondi et surplombe le point d'insertion arrière de la dorsale sur le dos. Le bord d'attaque de la nageoire tend à être droit ou légèrement courbé vers l'arrière. Bien que le sommet de la nageoire soit généralement arrondi, l'extrémité de celle-ci forme une pointe plutôt aigu vers l'arrière. La selle grise à la base de la dorsale peut être de couleur uniforme ou afficher du noir en proportions variables, le dernier type étant qualifié de " selle ouverte ". Les résidants sont généralement observés en groupes de 6 à 50 individus voire plus, et ont tendance à faire surface au plus toutes les 3 ou 4 min. |
En beaucoup de points, les hauturiers ressemblent plus aux résidants qu'aux nomades. La selle est presque de la même taille que celle des résidants, toute proportion gardée, et des selles de type ouvertes ont été observées. La dorsale à tendance à être courbe, et la forme du sommet diffère souvent de manière subtile. L'extrémité de la nageoire des hauturiers est généralement arrondie de sorte que celle-ci ne présente aucun angle contrairement aux résidants chez qui la nageoire est également courbe mais avec une extrémité pointue. Bien qu'aucune mesure n'ait été faite, les hauturiers semble légèrement plus petits que les résidants ou les nomades. Les hauturiers sont généralement observés en groupes de 25 individus ou plus, et ont des caractéristiques de plongée différentes de celles des résidants. |
La dorsale des femelles nomades a typiquement la forme d'un triangle isocèle grossier dont le sommet pointu. Le bord d'attaque de la dorsale est parfois légèrement bombé. La selle est typiquement de grande taille par rapport à celle des résidants et des hauturiers ; d'autre part, le type selle ouverte n'a jamais été observé. Les nomades se déplacent en groupe de 6 ou moins, et plongent souvent pendant 5 à 7 min. |
Les populations d'orques résidantes de Puget Sound (Etat de Washington, E.-U.) et de Colombie Britannique (Canada) s'organisent en une série de groupes sociaux de taille décroissante : les communautés ou hordes ou agrégations ou superpods, les pods, les sous-pods, et les groupes maternels (LEATHERWOOD & REEVES, 1983 ; MATKIN & LEATHERWOOD, 1986 ; MATKIN & SAULITIS, 1994). Tous ces éléments de populations ont été observés dans le Sud de l'Alaska (E.-U.). Les limites des communautés restent cependant mal définies.
Une communauté d'orques représente un rassemblement d'individus qui résidant dans la même région et qui périodiquement s'associent (BIGG, OLESIUK, et al., 1990). Il existe une communauté sud, une communauté nord et une communauté hauturière en Colombie Britannique. Les individus de l'une entrent rarement dans le territoire de l'autre ; d'autre part, les trois communautés ne semblent pas s'associer. Le territoire des trois communautés est inconnu au-delà des eaux de l'Ile de Vancouver, et par conséquent une association entre les trois communautés en dehors de ces limites ne peut être exclue. En séquençant la boucle D de l'ADN mitochondrial des individus des communautés, HOELZEL (1989 et 1998) mis en évidence que celles-ci sont très proches génétiquement.
Les communautés d'orques sont composées de pods. Un pod est défini comme le plus grand groupe cohésif d'individus voyageant ensembles la plupart du temps (BIGG, OLESIUK, et al., 1990). La découverte de dialectes spécifiques aux pods résidants de Colombie Britannique, de Puget Sound, et de Prince William Sound, corrobore la définition des pods basée sur la photo-identification (FORD & FISHER, 1982, 1983 ; FORD, communication personnelle). Les pods sont composés d'animaux des deux sexes et de tout âge (BIGG, 1982). Ils présentent des associations de longue durée entre certains animaux (BIGG et al., 1990), mais peuvent ne pas être absolument stables (MATKIN & LEATHERWOOD, 1986). Il n'est pas inhabituel pour les pods de résidants de se diviser pour quelques heures, avec d'un côté les mâles mâtures et de l'autre les femelles et les juvéniles. La distance qui sépare ces sous-groupes peut atteindre 7 km (MATKIN & LEATHERWOOD, 1986). (Quatre pods résidants du Sud de l'Alaska (ELLIS, communication personnelle) et au moins neuf de Prince William Sound (LEATHERWOOD et al., 1990 ; C.O. MATKIN, observation personnelle) ont été identifiés par photo-identification. Deux de ces pods, attachés au Sud de l'Alaska, ont été également photographiés, quoique rarement, dans la Baie du Prince William.).
Les pods peuvent se scinder temporairement (généralement moins d'un mois) et voyager en unités plus petites appelées sous-pods (BIGG, OLESIUK, et al., 1990). Quelques pods ont tendance a voyager plus fréquemment que d'autres sous forme de sous-pods, mais aucun dispersement permanent des individus d'un pod résidant du Pacifique nord-est n'a été observé. Les membres d'un sous-pod voyagent presque toujours ensemble lorsqu'ils voyagent à l'intérieur de leur pod.
La plus petite unité de l'organisation sociale au sein d'un pod résidant est le groupe maternel (BIGG, 1982 ; JACOBSON, 1986 ; BIGG, OLESIUK, et al., 1990). Un individu est rarement séparé des membres de son groupe maternel plus de quelques heures. Ces groupes sont constitués d'une mère et de ses descendants des deux sexes. De nouveaux groupes maternels sont formés lorsqu'une mère met au monde deux filles ou plus. Quand ces femelles commencent à se reproduire, elles peuvent quitter leur groupe maternel. Les groupes maternels peuvent également s'éteindre si aucune descendance fertile n'est produite (BIGG, OLESIUK, et al., 1990). Les mâles ne quittent pas leur groupe maternel, quoiqu'ils peuvent voyager brièvement avec d'autres groupes maternels ou d'autres pods. L'analyse des séquences d'ADN mitochondrial (ADNmt) confirme la théorie selon laquelle l'organisation des pods est basée sur un système social composé de groupes d'orques de parenté maternelle commune (STEVENS et al., 1989).
Dans la région de l'Ile de Vancouver, BIGG (?,1988) a observé qu'un animal pouvait quitter un pod pour en rejoindre un autre, mais qu'il finissait toujours par réintégrer son pod d'origine. Parfois, certains pods se rejoignent et passent quelque temps ensemble. Il n'a été observé aucune différence dans la composition des pods avant et après ce rassemblement. La plupart des pods observés dans cette région fréquentaient un territoire et n'en franchissaient pas les limites.
La formation de nage reflète l'organisation sociale des groupes maternels (BIGG, OLESIUK, et al., 1990 ; C.O. MATKIN, commun. pers.). Lorsque les orques résidantes nagent en formation serrée, les membres des groupes maternels ont tendance à s'organiser autour des femelles. Les bébés ou les jeunes enfants nagent au plus près de leur mère. Les fils adultes se placent juste après les jeunes. Les filles adultes nagent loin de la mère et sont suivies de leurs enfants. Un mâle adulte dont la mère est morte, mais qui possède une sœur adulte, est souvent positionné à la périphérie du groupe de sa sœur.
Les orques résidantes ne sont pas les seuls mammifères à avoir développé une structure sociale basée sur les relations généalogiques : les loups, les lions, les hyènes se déplacent également principalement avec leurs parents proches (MacDONALD, 1983). La seule caractéristique de l'organisation sociale des orques résidantes par rapport aux sociétés cités précédemment est qu'aucun individu ne quitte définitivement son groupe natal (BIGG et al., 1987). La reproduction entre individus de pods différents peut avoir lieu lors des rassemblements temporaires de pods et lorsque des mâles s'accouplent avec des femelles de groupes différents. Un travail génétique considérable est nécessaire pour clarifier les relations de parenté au sein d'un pod et entre les pods. L'analyse génétique des globicéphales (Globicephala sp.)des Iles Féroé révèle un système social très similaire à celui proposé pour les orques résidantes (AMOS et al., 1993).
Il y a eu moins d'observations à long terme de groupes de nomades que de résidants. Des études en Colombie Britannique indiquent que les orques nomades maintiennent un système social différent de celui des résidantes. La dispersion (BIGG et al., 1990), tout comme l'immigration (MATKIN et al., 1994), existe probablement chez les nomades. Quelques nomades au moins quittent le groupe social lorsqu'ils atteignent la maturité (BIGG et al., 1987). Le concept de pod comme agrégation de groupes maternels ne serait pas applicable aux nomades. Le groupe de voyage de base serait un groupe maternel unique ou une partie d'un groupe maternel. Pour cette raison, il est préférable de qualifier les agrégations de nomades de " groupes " et non de " pods ". Les dialectes n'apportent aucune indication quant à la structure sociale, puisque tous les nomades de Colombie Britannique partage quelques vocalisations et que les dialectes ne sont pas encore caractérisés (FORD, communication personnelle). Les nomades de Prince William Sound partagent également au moins une vocalisation avec ceux de Colombie Britannique (SAULITIS, donnée non publiée). Des études complémentaires des orques nomades sont nécessaires pour clarifier leur structure sociale.
" Les individus solitaires sont rares. Quelques-uns ont été observés au large de la Colombie Britannique et de l'Etat de Washington, prouvant que les familles peuvent ne pas être stables. Après tout, ces individus isolés doivent avoir fait partie, à un moment ou à) un autre, de l'une de ces entités sociales. Nous ignorons les conditions et le nombre minimal d'individus requis pour assurer la stabilité de ces petits groupes. La taille de ces derniers doit dépendre de la distribution et de l'abondance des proies, mais nous ne savons pas dans quelle mesure. Le comportement sexuel des orques reste pour nous un mystère. La polygamie est commune dans les espèces où les mâles sont bien plus grands que les femelles. est-ce le cas chez les épaulards ? Nous l'ignorons. Il est même possible que les mâles passent la totalité de leur vie dans le groupe qui les a vus naître. S'il en est ainsi, une question évidente e pose : qui s'accouple avec les femelles d'une famille ? Peut-être les mâles " de transit ", à moins que l'acte de reproduction n'ait lieu après le fusionnement (temporaire) de clans différents. Dans une société animale où règne la polygamie, les jeunes quittent le groupe où ils sont nés pour migrer vers d'autres eaux. Ce fait pourrait expliquer la faible proportion des mâles adultes dans la population vivant au large de la Colombie Britannique et de l'Etat de Washington. Les orques seraient donc en fait polygames. L'observation des techniques de chasse révèle que les mâles jouent un grand rôle dans la maîtrise des proies dangereuses. Leur relative absence dans les communautés nord-américaines résulte peut-être tout simplement de la mortalité élevée de ces chasseurs affectés à des " tâches " périlleuses. Pourtant, ces orques sont censées se nourrir de poissons !… " (CORKERON, 1989)
La hiérarchie sociale est dominée par les femelles adultes (BIGG et al., 1990). Dans le Pacifique nord-est, les liens mère/petit apparaissent être particulièrement forts et durer très longtemps, peut-être la vie entière (BIGG et al., 1990). Il semblerait, d'après l'observation de quelques jeunes orques, que durant les 6 premiers mois de la vie du bébé, celui-ci quitte rarement les flancs de sa mère (HAENEL, 1986). Même pendant leurs deux ou trois premières années, les petits se déplacent le plus souvent avec leur mère (HEIMLICH-BORAN J.R., 1986). Cependant, la naissance d'un nouveau bébé aura tendance à diminuer l'intensité des relations mère/petit, et l'aîné s'associera plus avec d'autre membres du pod (HEIMLICH-BORAN S.L., 1986). Les liens mère/fille s'atténuent également lorsque la fille donne naissance à son propre petit (BIGG et al.,1990).
Les orques portent couramment des coups de dents et des cicatrices parallèles que les chercheurs attribuent à leurs congénères. Ces agressions ayant lieu habituellement sous la surface, donc échappant au regard des observateurs, elles sont supposées intervenir dans les combats, les relations parent/enfant, les agressions sexuelles, et le jeux (JACOBSEN, 1986). Cela est cohérent avec les observations réalisées dans les zoos marins et probablement vrai chez toutes les baleines à dents.
© 1997-1999 Eric PONCELET
& les auteurs référencés,
Biologie des Orques (Orcinus orca).